sagesse de Saint Benoît (avril-mai) : veiller à toute heure sur les actions de sa vie
Veiller à toute
heure sur les actions de sa vie
RB IV
Cette sentence des instruments
des bonnes œuvres de la règle de Saint Benoit semble ressembler à un axiome
populaire du style : « Réfléchir avant d’agir ». En effet posséder
« la science de ce qu’il faut faire ou ne pas faire » est un désir universel. La tradition chrétienne à la suite de Saint
Paul accorde une grande importance à la formation de la conscience et au
jugement qui va aboutir à l’acte.
L’Apôtre définit les trois morales : païenne,
juive et chrétienne, par la manière de le poser ou de l’éluder. Si les païens
ont abouti à toutes les dépravations, c’est qu’ils n’ont pas veillé à mettre
Dieu dans leurs pensées (Rm1, 28). Les juifs sont informés des volontés
divines par la loi qui détaille tout ce qu’il faut faire (Rm2, 12).
Le chrétien, avant de devenir une « homme
nouveau »grâce à l’Eglise qui va lui dispenser la parole du Christ et les
sacrements, et pouvoir discerner et adhérer spontanément et par amour au bon
vouloir de Dieu, va d’abord expérimenter la faiblesse de sa chair (Rm7) et
reconnaitre que « tout est grâce » (Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus).
Cependant cette foi doit s’accompagnée des œuvres : « Dieu qui t’a
créé sans toi ne te sauvera pas sans toi » (St Augustin). Rameau de
vigne greffé sur le Christ, le chrétien
ne doit pas être stérile dans ses actions: « c’est la gloire de mon Père
que vous portiez beaucoup de fruits ».
Pour comprendre Saint Benoit, il
faut rechercher dans l’Ecriture les différents sens de « veiller » puis
voir dans la règle comment le moine informe toutes ses actions par cette
veille.
Veiller, c’est
guetter, attendre, scruter, et implique un désir ardent et une certaine
crainte amoureuse de manquer un
rendez-vous : ce sens va s’adresser surtout à Dieu. Veiller, c’est aussi
garder, prendre soin, ce sens va s’adresser aux autre : « qu’as-tu
fait » de ton frère ? (Gen4, 10)
Résonance dans la bible
L’Ancien testament :
Les veilleurs sont évoqués dans l’histoire du peuple, ils
sont soldats ou bergers. A son sens usuels, les priants lui ont donné un sens
spirituel :
Ps62 : O Dieu, mon Dieu, je veille devant vous dès
l’aurore (...) le matin je pense à vous car vous avez été mon soutien.
Ici, plutôt que de veiller la nuit, comme on l’attendrait,
le psalmiste commence à veiller quand le jour se lève. Il entre dans une autre
veille, celle de l’attention à Dieu : « je me présente à vous pour
contempler votre puissance et votre gloire. »(Ps62)
Les grandes figures bibliques vont inaugurer une relation de
Foi et d’amour avec Dieu.
Les prophètes :
Ez33, 7 :
« Toi, je te fais guetteur pour la maison d’Israël, quand tu entendras une
parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part »
Les prophètes sont des
veilleurs, ils sont chargés par Dieu de rappeler l’Alliance au peuple.
Dt4, 9 : Prends garde ! Garde bien ta vie, ne va
pas oublier les choses que tes yeux ont vues, ni les laissez, en aucun jour les
sortir de ton cœur (...) Prenez bien garde à vous-même.
Veiller sur la mémoire des bienfaits de Dieu et de sa loi,
dont l’observation est le gage des promesses futures vont aider le peuple à
rester dans la voie de la justice.
Si7, 36 : Dans toutes tes actions souviens-toi de ta fin
et tu ne pêcheras jamais.
Ps127 : Heureux ceux qui craignent le Seigneur et
marchent dans ses voies !
Les pauvres attendent le secours de Dieu et son pardon
Lam3, 24-28 : Le Seigneur est bon pour l’âme qui espère
en lui. Il est bon d’attendre en silence le salut de Dieu. L’homme s’assiéra
dans le silence en portant son joug, il se prosternera à terre, espérant malgré
tout.
Ps4, 2, 4 : Seigneur, ayez pitié de moi, exaucez ma
prière (...) oui, le Seigneur m’entend quand je cris vers lui.
Ps90 : A celui qui appelle je répondrai (...) je lui
ferai voir mon salut.
Veiller, c’est donc aussi apprendre à attendre avec
confiance la réalisation des promesses et la venue du messie. Le dernier
veilleur de l’Ancien Testament est Siméon, « un homme juste et pieux qui attend
la consolation d’Israël » (Lc1, 25-27). A la charnière entre les deux
testaments, Siméon voit de ses yeux
l’accomplissement des promesses divines que les prophètes avaient annoncées.
Le Nouveau
testament :
Veiller et
attendre
Lc12, 31 : Heureux le serviteur que le Maître à son
arrivée trouvera veillant ! Soyez prêt car vous ne savez pas à quelle
heure le Fils de l’homme va venir.
Ici, la béatitude est promise par le Christ aux vigilants ,
c’est-à-dire à celui qui par les yeux de la Foi et de l’Espérance attendent le
retour de Jésus.
Mc 13, 37 : Ce que je dis à vous, je le dis à tous,
veillez !
Le Christ nous prévient avec insistance. Il ne veut pas que
nous nous laissions surprendre par sa venue. Ces avertissements doivent établir
ses disciples dans une certaine « crainte religieuse ». En
effet : « le juge se tient aux portes ! » (Jc 4, 5). Attendre l’achèvement du salut aura pour
conséquence de régler les moindre faits et gestes à cette fin.
Veiller et
tenir :
Les âmes trop rivées à terre n’ont ni le gout de la gloire
céleste, ni le sens de l’inachèvement de leur condition terrestre. Les plaisirs
sensibles et sensuels risquent de les rendre allergiques aux séductions célestes :
Lc21, 3 : tenez-vous sur vos gardes, de peur que vos
cœurs ne s’appesantissent pas dans la débauche, l’ivrognerie, les soucis de la
vie.
Pour rester ferme sans fléchir sous la pression de
l’adversité, le chrétien prend la vertu du vigilant, sur de la venue et de la
présence qu’il espère. Cela suppose de se garder en état d’alerte :
« ne vous endormez pas comme font les autres, mais restons éveillé et
sobres » (1 Tess : 5, 5)
Veiller et regarder avec les yeux de la Foi :
Jésus viendra à la fin des temps, il viendra
nous chercher le jour de notre mort, mais il est là « avec nous tous les jours »
(Mt 28, 20) dans les sacrements, spécialement l’Eucharistie. De plus il faut
aussi veiller à chaque instant car il vient nous solliciter à travers les
événements et par notre prochain : « Voici que je me tiens à la porte
et que je frappe !» (Ap 3, 20). L’attente et l’attention à la
présence de Dieu va nous pousser à lui
plaire en tout par amour.
Veiller et prier :
Etre attentif à garder son regard fixé sur les réalités
surnaturelles, prendre ses dispositions pour les recevoir va demander une vie
de prière intense : « vivez dans la prière et la supplication, priez
en tout temps dans l’Esprit, apportez-y une vigilance inlassable » (Eph 6,
18). « Veillez et priez en tout temps afin d’avoir la force d’échapper à
tout ce qui doit arriver et vous tenir debout devant le Fils de
l’Homme ! »(Lc 21, 36).
Au moment de l’agonie, avant sa passion le Seigneur donne
l’ordre de : « Veillez et priez pour ne pas entrer en
tentation, l’esprit est ardent mais la chair est faible » (Mt 26, 41).
C’est l’heure du grand combat contre les forces du mal qui veulent détourner
Jésus de la volonté du Père. Jésus triomphe en s’abandonnant librement à cette
volonté. Jésus prévient ses disciples
avec force, le combat spirituel demande une très grande vigilance.
Une oreille néotestamentaire rapproche automatiquement
« veille » de l’attente eschatologique, prière et combat. Le vigilant entre dans une
confiance inébranlable dans le secours de Dieu.
Ici Saint Benoit rapproche quant à lui veille et action.
L’attitude de veille néotestamentaire va rejaillir sur toute la vie.
Ce que dit la Règle
Cette sentence vient du chapitre 4, rapprochons-la
des deux sentences entre laquelle elle est insérée :
« Avoir tous les jours la mort devant les yeux » (n°47) :
c’est l’attente du Seigneur, sa venue ultime
au moment de notre mort. Et « tenir pour certain que Dieu nous
observe à toute heure » (n°49): c’est
avoir une conscience aigüe de sa venue à tout moment. « Veiller à
tout heure sur les actions de sa vie » (n°48) peut être entendu comme la
conséquence de cette double attente. Le moine va s’exercer ainsi à « la
crainte de Dieu » qui a une grande importance dans la tradition monastique.
Elle signifie d’abord d’entrer dans une conscience de cette présence et doit
mener à l’amour.
Le lieu privilégié de cette attitude est l’oratoire du monastère,
il faut s’y tenir « en présence de Dieu et de ses anges »
(chap29), Saint Benoit exhorte à y prier avec « pureté de cœur et des
larmes de componction », l’office divin doit être récité avec une
« frayeur divine » (chap50).
Dès le prologue le moine est décrit comme un
veilleur : tout son être est tendu dans cet état : il « écoute ce que dit
l’Esprit », il est poussé sans cesse à « sortir du
sommeil » il garde « les yeux
ouvert à la lumière déifique », il craint que « les ténèbres
ne le rattrapent ». Cet état de
veille le pousse à bien agir : « Marchons dans
ses sentiers, afin que nous méritions de voir dans son Royaume celui qui nous a
appelé. », « il nous faut courir et agir d’une façon qui nous profite
pour l’éternité »
Le thème de la vigilance active se retrouve au chapitre 7 : De l’humilité : « croyons que Dieu nous observe sans cesse (...),
veillons à toute heure, de peur que Dieu ne nous surprenne à quelques moments
où nous nous abandonnons au mal et nous nous rendons inutiles. »
Si tous les moines sont des veilleurs, l’Abbé et ceux avec
qui il partage son fardeau vont être spécialement vigilants :
Saint Benoit demande à l’Abbé (RB2)de
se souvenir sans cesse du « redoutable jugement de Dieu », « il
devra rendre compte à Dieu de toutes les âmes qui lui sont confiées » et
vivra « dans l’appréhension continuelle » de cet examen. L’abbé est
chargé de conserver « en tous ses
points la règle »(RB 34) et de veiller sur son observance, toujours
tempérée par la « discrétion afin que les faibles ne se découragent
pas »
Il veille « avec le plus grand soin » sur les
frères malades, « afin qu’ils
n’aient à souffrir d’aucunes négligences » (RB 36)
Il veille aussi sur « la mesure des habits » ainsi
que leur adaptation au climat. (RB 55)
Il veille sur la « mesure du manger », « au
cas où il serait expédient d’ajouter quelque chose ». (RB 39).
Il veille en tout pour que « ne rien établir de
rigoureux ou de trop pénible » (prologue), et que « personne ne soit
troublé ni contristé dans la maison de Dieu » (RB 31).
Le cellérier du monastère devra rendre compte à Dieu
du soin apporté aux « enfants, aux hôtes et aux pauvres », au jour du
jugement « il rendra des comptes pour eux tous ». Il veillera aussi
« à la garde de son âme » à cause du rang que lui donne sa bonne
administration. (RB 31)
-Le moine chargé de former les nouveaux venus
« s’inquiétera avec sollicitude » de leur zèle concernant l’office
divin, l’obéissance, et les humiliations. (RB 58)
-Le portier est aussi un veilleur, il sera
« toujours présent pour rendre réponse » « dans toute la
mansuétude que donne la crainte de Dieu ». (RB 46).
Après ce petit tour
non exhaustif dans l’Ecriture et dans la Règle on peut discerner les
résonances de cette sentence.
Veiller, c’est attendre l’aide du Seigneur,
scruter les réalités surnaturelles, accepter le combat spirituel... Une
attitude d’âme qui nous garde dans la prière et nous aide à poser les actions
du quotidien selon la volonté de Dieu.
Dans toute la règle,
le moine est décrit comme un vigilant actif, quel que soit son rôle dans le
monastère, il devra sans cesse supplier le Seigneur car c’est Lui qui
« mène tout à bonne fin », « en sorte que celui qui a daigné
nous compter parmi ses fils n’ai pas à s’attrister de nos mauvaises
actions », il doit veiller à rester
« dans la lumière de vie de peur que les ténèbres ne le
saisissent ».La conséquence de cette attention à Dieu, à ses frères et à
tous les biens du monastère, est qu’’il « avancera dans la bonne vie et
dans la foi » et se mettra « à courir dans les préceptes de Dieu avec
une véritable douceur d’amour ». (Prologue)
Saint Basile (Homélie : Attende tibi ipsi) :
Ne cesse pas de t’examiner toi-même si tu veux vivre selon le commandement. Ne
reste pas là à regarder hors de toi si tu réussi à trouver quelque chose à
reprocher aux autres, comme le faisait le pharisien présomptueux et plein de
gloire, qui s’élevait lui-même en se justifiant et qui méprisait le
publicain ; ne cesse pas de t’examiner toi-même en te demandant si tu as
péché en pensée, ou si ta langue plus rapide que ta pensée n’a pas dit quelque
chose de trop, si par les œuvres de tes mains, tu n’as pas fait quelque chose
qui dépassait tes intentions. Et si tu trouves dans ta vie un grand nombre de
péché, tu es homme et tu en trouvera certainement, redis les paroles du
publicain : « Ô Dieu, prends pitié de moi pécheur »