La Règle de Saint Benoît

Notre communauté trouve dans la Règle de Saint Benoît un chemin pour suivre le Christ et vivre selon son Évangile. La recherche de Dieu est l’axe de la Règle de saint Benoît autour duquel s’ordonnent les piliers de notre vie monastique :

La Prière

La prière liturgique est au centre de notre vie. L’office divin qui rythme la journée nous rassemble à la fin de la nuit pour les vigiles, le matin à Laudes, aux heures de Prime, Tierce, Sexte et None qui scandent la journée, en fin d’après-midi à Vêpres, et le soir à Complies. Avant toute louange et adoration de Dieu, l’Opus Dei, « l’œuvre de Dieu comme l’appelle saint Benoît, est aussi une grande prière de supplication et d’intercession pour le monde que nous accomplissons au nom de l’Eglise. »

La liturgie des Heures qui sanctifie le temps gravite autour de l’Eucharistie, « cœur et sommet de toute la vie chrétienne » (LG 11) ; nous unissons au sacrifice du Christ l’offrande de nous-mêmes scellée au jour de notre profession.

L’Office divin et la messe sont célébrés dans la beauté simple du chant grégorien. Dans un esprit de paix ecclésiale notre abbaye est ouverte aux deux formes du rite romain pour la célébration de la messe, privilégiant, avec l’assentiment de nos évêques successifs, la forme extraordinaire, pour que soit maintenues vivantes les diverses richesses liturgiques de l’Eglise en vue « d’un enrichissement mutuel » des deux formes (Motu proprio Summorum Pontificum de Benoit XVI).

La prière liturgique nous façonne et alimente l’oraison personnelle, qui se nourrit aussi de la Lectio divina : une écoute et une méditation de la Parole de Dieu. La Parole de Dieu est la première source de toute spiritualité chrétienne. Elle nourrit une relation personnelle avec le Dieu vivant et avec sa volonté salvifique et sanctifiante (Vita consecrata n°94).

"Ne rien préférer à l’œuvre de Dieu"
RB ch. 43

"S’il cherche vraiment Dieu" (RB 58)

Le Travail

Participation à l’œuvre créatrice de Dieu, imitation de la vie laborieuse du Christ à Nazareth, le travail est une nécessité vitale pour assurer la subsistance de la communauté. Il nous rend solidaires de nos contemporains, dont nous partageons les soucis et les vicissitudes en ce temps de crise.

Manuel, intellectuel ou artistique, le travail accompli dans l’obéissance concrétise le don de nous-mêmes à Dieu et nous met dans un esprit de service et de disponibilité à l’égard des autres.

Outre nos artisanats destinés à la vente, et les tâches inhérentes à l’entretien d’une maison, nous exerçons une activité agricole : petite ferme, potager, exploitation de champs et de vergers. Ces travaux équilibrants ont l’avantage aussi de nous insérer dans le milieu rural du rosanais.

"St Benoit fit sortir le travail de sa condition servile pour l’élever à la dignité de sœur de la vie spirituelle."
Paul VI
"Alors ils seront vraiment moines, s’ils vivent du travail de leurs mains."
RB ch. 48

La Vie Fraternelle

La communauté monastique n’est pas le fruit d’affinités humaines : elle est rassemblée par le Christ qui a choisi et appelé chacun de ses membres. Comme dans une cordée que conduit le Christ, dont « on croit que l’abbé tient la place » (RB 2) nous marchons toutes ensemble vers la vie éternelle, expérimentant à la fois le support mutuel et la solitude pour Dieu.

Construire une communauté fraternelle est une mission quotidienne pour chacune : c’est le témoignage que l’Eglise attend de nous. C’est dans la réalité concrète de la vie commune, tantôt joyeuse, tantôt purifiante, que se réalise la rencontre avec Dieu.

"Ils acquitteront la dette de la charité fraternelle par amour ; ils aimeront leur abbé avec une charité sincère et humble ; ils ne préfèreront absolument rien à Jésus Christ. "
RB ch. 72
"Ne jamais nous lasser de choisir la fraternité."
Pape François
"Les cénobites vivent en commun dans les monastères, et combattent sous une Règle et sous un abbé. "
RB ch. 1

L'Hospitalité

La réception des hôtes n’est pas une œuvre d’apostolat spécifique, ni une fin en soi à poursuivre. Elle est la rencontre du monde vécue en rencontre de Dieu. Cette vision surnaturelle n’exclut pas, au contraire, un savoir-vivre empreint d’esprit évangélique.

Dans la beauté et le silence des alpages qui environnent l’abbaye nous essayons d’offrir un climat de paix à ceux qui viennent faire halte pour partager notre prière, rechercher le silence du cœur, raviver leur force spirituelle ou étancher leur soif de Dieu.

"Le monastère est fréquenté comme une maison de paix et de prière où les hommes peuvent se retrouver eux-mêmes et retrouver Dieu à l’intérieur d’eux-mêmes. "
Paul VI
"Tous les hôtes qui se présentent doivent être reçus ‘comme le Christ’ "
RB ch. 53

Sagesse de saint Benoît

Nous partageons ici une lectio, faite par les sœurs, à partir de passages de la Règle de saint Benoît, expressifs de cette sagesse qui caractérise la règle du Patriarche des moines. Composée de 73 chapitres et d’un prologue, cette règle structure notre vie monastique pour en faire, à la suite de saint Benoît, « une école au service du Seigneur. »

Dans le Prologue de sa Règle, saint Benoît qualifie le monastère d’École du service du Seigneur. Où trouver l’origine de cette expression ? La Bible contient plusieurs versets qui ont peut-être inspiré saint Benoît :

Résonance dans l’Ecriture

C’est le Seigneur votre Dieu que vous devez suivre, c’est lui que vous craindrez ; ses commandements, vous les garderez ; sa voix, vous l’écouterez ; c’est lui que vous servirez ; c’est à lui que vous vous attacherez. (Deutéronome 13, 5)
C’est le Seigneur notre Dieu que nous voulons servir, c’est à sa voix que nous voulons obéir. (Josué 24, 22)
Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon bien-aimé en qui je trouve mon bonheur. (Mt 12, 18)
Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et celui qui veut être parmi vous le premier, sera votre esclave. Ainsi, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. (Mt 20, 26)
Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. (Mt 23,11)
Nous resterons assidus à la prière et au service de la Parole. (Ac 6, 4)

Dans l’enseignement des Souverains Pontifes

Le Pape Jean-Paul II, en 1980, a rappelé l’origine de cette École :

Poussé par l’amour de Dieu, saint Benoît s’unit d’autres hommes dont il devint le père et avec qui, à ce titre il ouvrit une École du service du Seigneur. Aussi constituèrent-ils, en usant des instruments des bonnes œuvres, une petite cité chrétienne où règnent l’amour, l’obéissance, l’innocence, le détachement de l’esprit par rapport aux choses et l’art d’en user droitement, la primauté de l’esprit, la paix, bref l’Évangile. (Sanctorum altrix)

Quelques années plus tard, Jean-Paul II complète cette description :
Les monastères ont été et sont encore, au cœur de l’Église et du monde, un signe éloquent de communion, une demeure accueillante pour ceux qui cherchent Dieu et les réalités spirituelles, des écoles de la foi et de vrais centres d’études, de dialogue et de culture pour l’édification de la vie ecclésiale et de la cité terrestre elle-même, dans l’attente de la cité céleste. (Vita consecrata)

Au Mont Cassin en 2009, le Pape Benoît XVI explicite à son tour la vision de l’École du service du Seigneur de saint Benoît :
A son école, les monastères sont devenus, au cours des siècles, de fervents centres de dialogue, de rencontre et de fusion bénéfique entre peuples différents, unifiés par la culture évangélique de la paix. Les moines ont su enseigner par la parole et par l’exemple l’art de la paix, en réalisant de manière concrète les trois ‘liens’ que Benoît indique comme nécessaires pour conserver l’unité de l’Esprit entre les hommes : la Croix, qui est la loi même du Christ ; le livre, c’est-à-dire la culture ; et la charrue, qui indique le travail, la domination sur la matière et sur le temps. Grâce à l’activité des monastères, articulée selon le triple engagement quotidien de la prière, de l’étude et du travail, des peuples entiers du continent européen ont connu un authentique rachat et un développement moral, spirituel et culturel bénéfique, en s’éduquant au sens de la continuité avec le passé, à l’action concrète pour le bien commun, à l’ouverture vers Dieu et la dimension transcendante.

Commentaires monastiques

Aquinata Böckmann, moniale bénédictine allemande a longuement médité sur ce thème et en a partagé récemment les fruits :
L’école du service du Seigneur est une école qui contient le service,
une école pour le service,
dans laquelle nous apprenons à servir,
ou à rendre le service que le Seigneur nous a rendu,
une école dans laquelle nous voulons nous adonner à son service,
le servir comme lui-même a servi,
et naturellement aussi le servir lui-même.
L’école est celle du Maître-Christ.
Le monastère est une école, son Maître est le Christ.
On n’aura jamais fini d’apprendre,
au contraire, on persévère dans cette école jusqu’à la mort,
comme le Christ a été obéissant jusqu’à la mort.
On progresse dans cette école ;
on passe des angoisses et du refus du commencement
à la « douceur de l’amour » (s. Benoît).

Au XIe siècle, saint Pierre Damien qui se surnommait lui-même le dernier serviteur des moines, a fait de la vie monastique un rappel pour tous à cheminer vers la sainteté :
Que pourrais-je dire du monastère de Cluny sinon qu’il est le champ du Seigneur florissant où le chœur de tant de moines unis par la charité, est comme une abondante moisson céleste ? Ce champ est labouré chaque jour par la charrue de la prédication et en lui sont répandues les semences de la Parole divine. Là s’amassent les fruits des moissons spirituelles pour être ensuite disposés dans les greniers célestes. Ensuite le champ spirituel de Cluny est un champ où le ciel et la terre se rencontrent, il est semblable à une arène de combat où la chair fragile lutte contre les puissances de l’air comme dans un gymnase spirituel. (Lettre)

Dans la Règle :

Saint Benoit parle de cette « ineffable douceur d’amour » pour conclure le prologue de sa Règle : « à mesure que l’on progresse dans les bonnes œuvres et dans la Foi, le cœur se dilate et on se met à courir dans la voie des commandements avec une ineffable douceur d’amour ».

Le moine est d’abord un chrétien qui suit le précepte évangélique : « tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même » (chap.4). 

Comment cet amour, prescrit pour Dieu et pour tous, va-t-il s’incarner dans la vie monastique ?

Le moine « ne préfère absolument rien à l’amour du Christ » (chapitre 4). Cet amour exclusif le forme à une juste attitude devant Dieu. Il va apprendre ainsi à « incliner l’oreille de son cœur » pour écouter son « Père plein de tendresse ».

Le moine manifeste son amour pour Dieu et ses frères tout au long de la journée monastique :

-par son empressement : dès le lever, le moine « se hâte » vers l’oratoire pour l’Office divin,

– par le soin dans la prière : « avec larmes et application du cœur » (chap.50).

– il sert ses frères et à l’exemple du Christ « il leur lave les mains et les pieds » (chap.98)

– il soigne les malades comme si « c’était le Christ en personne » (chap.36). Il « supporte les infirmités d’autrui » (cha.72).

-le portier accueille les hôtes avec « toute la mansuétude que donne la crainte de Dieu » (chap.53).

Dans le travail, la miséricorde est pratiquée envers les plus faibles pour « que tout se fasse sans aucun murmure » (chap41), les vieillards et les enfants ont un régime particulier (chap37). 

L’Abbé suit l’exemple du Bon Pasteur de l’Evangile, il doit chercher les brebis égarées et même les « ramener sur ses épaules sacrés » (chap27). Il adoucit les rigueurs de la Règle pour que « la discrétion, mère de toutes les vertus » permette à chaque moine d’avancer sans se décourager. Il « s’étudie à être aimé plus qu’à être le Maitre » (chap.64).

Le moine « aime son Abbé « d’un amour humble et sincère », il rend à chacun « la dette de l’amour fraternel », Le moine accepte tout ce qui pourrait paraitre rigoureux dans la règle car ce n’est que le but de « maintenir la charité » (prologue).

Dans l’Ecriture :

Le Mystère de l’Amour de Dieu a pris le Visage du Christ : telle une lumière qui brille dans les ténèbres, la charité, manifestée par le Christ a déterminé la Foi de apôtres :

1Jn4, 16 : « Nous avons reconnu et nous avons cru à l’amour que Dieu a au milieu de nous ».

 Comme la vie est le bien le plus précieux et que la sacrifier pour les êtres chers est la plus grande preuve d’amour, le Seigneur a manifesté son immolation comme la manifestation la plus décisive de sa charité. Désormais toutes les âmes apprendront ce qu’est l’Amour en regardant la croix : « Nous savions que Dieu était là, se réconciliant le monde. » «(2Co5, 19).

La vie terrestre du Christ est une épiphanie de l’amour et de la bénignité du Père qui est au cieux. A travers la vie et l’enseignement de Jésus, nous pouvons discerner l’amour du Père. Compatissant, patient, écoutant… le Père tout-puissant et plein de sollicitude prend l’initiative du pardon et le propose à tous… Par le mystère de la Rédemption, il nous engendre à sa propre vie et nous communique sa charité divine. « Aimés de Dieu » est la désignation des chrétiens, amour de choix existant depuis toujours.

La communauté manifeste l’amour, elle est le lieu vital de la Charité divine :

Jn18, 35 : « A ceci tous reconnaitront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres ».

Elle est ordonnée et chargée de l’ordre, elle est constituée pour la communion. Le Bon Pasteur est le modèle des bergers : les supérieurs protègent la fraternité, la solidarité et œuvrent à la communion. La communauté ne vit et ne grandit qu’en fonction de l’amour, chaque pierre de l’édifice se laissant façonner et se donnant pour l’harmonique de l’ensemble.  

Le visage concret de l’Amour en chaque frère :

La vie commune est épiphanique, elle rend l’Agape chrétienne visible, constante, indiscutable. Tous ne pourront qu’y discerner l’origine céleste :

Mt5, 16 :« Votre lumière doit briller devant les hommes ».

 La manifestation de la Charité est la démonstration de la puissance divine présente au milieu de nous. L’amour total et totalisant pousse à tout mettre en commun, à égaliser les conditions humaines.

Act4, 32 :« Tous n’avaient qu’un cœur et qu’une âme » 

Les différences de caractères peuvent entrainer des heurts. Mais les frères vont recevoir la force de déployer un amour proprement divin : faisant du prochain un frère d’âme, la force de la charité ajuste tellement à l’autre qu’elle nous donne de « sentir avec ».

Phil2, 2 : « Ayez une seule âme, un seul sentiment… » 

L’harmonie de l’ensemble tient autour du lien affectif de leur parenté dans le Christ. C’est une religieuse tendresse, avec un attachement spontané et un respect lucide :

« Tous, vous êtes frères » (Mt23, 8), « prévenez-vous les uns les autres de marques d’honneur » (Rom12, 10). Chaque frère est aimé selon sa chair, dans le Seigneur.

On est donc épris de son frère, ayant à son égard une inclination, on le chérit dans la tendresse même du Christ. Et comme en fait de charité, on ne peut en rester à des paroles, les frères dans le Christ avaient coutume de s’embrasser au cour des Agapes eucharistiques : « Saluez-vous les uns les autres par un saint baiser ! » Pour que ce geste de courtoisie, d’affection et de vénération soit devenue dans l’église primitive une si originale liturgie, il faut penser qu’elle s’origine dans le Seigneur lui-même vis-à-vis de ses disciples.

Quelques généralités à propos du regard :
Les objets qui se présentent à nos yeux vont influencer notre être : « Un paysage est un état d’âme » (Verlaine). En effet l’expression « poser son regard » montre le contact quasi « physique » qui peut s’établir entre notre pensé et la chose regardée. Il faut donc choisir vers quoi et vers qui orienter nos regards
« On ne voit bien qu’avec le cœur… » (Saint-Exupéry). La guérison de l’aveuglement est intérieure ! Comme les idoles que l’on fabrique, beaucoup « ont des yeux et ne voient pas… » (Jer5, 21).

Chercher à voir le bien et le bon :
« Qui est bon, sinon Dieu seul ? » (Mc10, 18). Mais Dieu est Celui que « nul ne peut voir » (1Tim6, 16). Certes les merveilles de la création donnent de pressentir l’Invisible : « les astres font pressentir la puissance » du Créateur (Is40, 25). Mais Lui reste « un Dieu caché » (Is45, 15).

« La lumière de la Foi fait voir ce que l’on croit » (Thomas d’Aquin)
La foi « regarde à distance », comme Moïse qui tient compte de la rétribution promise (Heb11, 26), elle est une faculté de perception, elle considère exclusivement. Elle guette et scrute.
Depuis le péché des origines qui a interrompu le dialogue avec Dieu, le désir de voir Dieu parcourt toute la Bible, il aboutit au moment de l’Incarnation : Jésus est celui que : « bien des prophètes et de justes ont souhaité voir » (Mt13,16).
Mais quand les disciples l’auront vu une dernière fois lors de son Ascension, le temps commencera où ceux qui ne l’ont pas vu devront l’aimer et se réjouir « sans le voir encore mais en croyant » (1Pi1, 8).

Ne pas cesser de fixer le but, y concentrer toute notre attention est le secret de l’endurance et de la persévérance.
L’attitude contraire est « de regarder en arrière » (Lc9, 62).
L’épitre aux hébreux dit que les chrétiens sont comme des athlètes qui concourent dans l’arène, où les stimulent tous les croyants déjà arrivés. Une fois la course commencée, l’athlète ne doit pas se laisser distraire : « il fixe attentivement le regard » sur Jésus (Heb11-12, 1).
Saint Benoit utilise une expression analogue dans son prologue pour décrire l’attitude du moine : « les yeux ouverts à la lumière déifique et les oreilles attentives, écoutons l’avertissement divin qui nous crie : aujourd’hui si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas votre cœur… ».

Ce regard va impacter les actions, aider à marcher, même dans les tempêtes de la vie :
« Illumine mes yeux, de peur que dans la mort je ne m’endorme ! » (Ps12, 4). Il faut parfois se détourner de certaines considérations pour rester attaché à celle qui tient vraiment à cœur : les premiers martyrs d’Israël « regardaient l’autorité d’Eléazar » et « chacune des victimes expiraient le regard fixé sur le Temple » (Flavius Joseph, Guerre).
De même les croyants tournent et tiennent le regard fixé sur leur « archégos », Jésus-Christ, qui «au lieu de la joie qui lui était proposée, endura une croix, dont il méprisa l’ignominie » (Heb12, 2). Il est: «la Lumière du monde », il nous avertit : « marchez tant que vous avez la Lumière » (Jn8, 12 ;9, 5).
Saint Benoit reprend aussi ce mot d’ordre du Seigneur en lui donnant sa coloration propre : « courrez » ! « Courrez tant que vous avez la lumière de la Vie, de peur que les ténèbres ne vous saisissent » (prologue).

Alors vous verrez…
« Ce que nul œil n’a vu », « ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment ». (Chap4). En effet : « les cœurs droits contempleront ta Face » (Ps10, 8)

Pape François :
Trop souvent nous regardons la vie et la réalité avec les yeux inclinés vers le bas. Nous restons immobiles devant la tombe de la résignation et du fatalisme, et nous enterrons la joie de vivre. Pourtant le Seigneur en cette nuit, veut nous donner des yeux différents, éclairés par l’espoir que la peur, la douleur et la mort n’auront pas le dernier mot sur nous. Grâce à la Pâques de Jésus, nous pouvons faire le saut du néant à la vie, « et la mort ne pourra plus nous voler notre existence : elle a été complètement et pour toujours embrassée par l’amour sans limite de Dieu. (Homélie de la veillée pascale 2022)
Benoit XVI :
Il y a des personnes à qui il a été donné de voir. « Abraham a vu mon jour et il s’est réjoui », dit le Christ à propos du Père fondateur d’Israël (Jn8, 56). Il se tient lui-même au milieu de l’histoire comme le grand Voyant, et toutes ses paroles jaillissent de ce rapport immédiat avec le Père : « qui m’a vu a vu le Père ». La foi chrétienne est dans son essence participation à la vision de Jésus, par l’intermédiaire de sa parole qui est l’expression authentique de sa vision. La vision de Jésus est le point de référence de notre foi, son ancrage concret. (…) Citons une parole étrange à propos de l’histoire de Moïse : si les saints ne peuvent pas voir Dieu face à face, il le voit pourtant, ils voient au moins son dos. Et de même que le visage de Moise brillait après la rencontre avec Dieu, de même la vie de Jésus rayonne-t-elle dans la vie des saints. (Regarder le Christ)

Saint Benoit, dans son prologue, cite ici le psaume 33. Ce psaume décrit la crainte de Dieu et invite à y rentrer : Venez mes fils écoutez moi, je vous apprendrai la crainte du Seigneur (v12), plus loin : quel est l’homme qui veut la vie ? (V13), évite le mal et fait le bien (V15). (Prologue)
La crainte fait entrer le moine dans une piété concrète et active. Ainsi s’ouvre le chapitre sur le bon zèle : il y a un bon zèle qui mène à Dieu et à la vie éternelle : que les moines craignent Dieu… (Chap. 68)
Pour cerner que l’on appelle « la crainte de Dieu » dans la spiritualité et la tradition monastique, il faut entrer dans son sens biblique. Ce que la Bible nomme la crainte, don de l’Esprit (Is, 11), n’a pas que le sens de peur en français : « la crainte de Dieu est pour nous l’équivalent de la vertu de religion : respect souverain du Nom, de l’autorité et de la transcendance de Dieu » (P. Spick, Théologie morale du Nouveau Testament).
On peut le lire en He 12, 28 : en possession d’une telle grâce et de telles privilèges, usons-en pour servir Dieu d’une manière qui lui soit agréable, avec toute la piété d’une crainte religieuse.
Quelques approches bibliques sur la crainte de Dieu :

L’exemple d’Abraham :
Abraham réagit avec foi et obéit à l’ordre de Dieu :
Je sais maintenant que tu crains Dieu, tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. (Gn22, 12)

Apprendre la crainte :
Devant les théophanies divines, l’homme est dépassé.
Gédéon vit que c’était l’Ange du Seigneur et il dit : « Hélas mon Seigneur, c’est donc que j’ai vu l’Ange du Seigneur face à face ? », le Seigneur lui dit : « ne crains pas, tu ne mourras pas ». (Jg6, 22)
Dieu ne veut pas terroriser, mais faire entrer le fidèle dans une juste considération de Lui-même et apprendre ainsi la piété :
Tout le peuple voyant les coups de tonnerre, ces lueurs, ces coups de trompes et la montagne fumante eut peur. (…) Moïse dit : n’ayez pas peur. C’est pour vous mettre à l’épreuve que Dieu est venu, pour que sa crainte vous demeure présente et que vous ne pêchiez pas. (Ex20, 18-21)
Cette piété doit être concrète et active :
Voici les commandements, les lois et les ordonnances que le Seigneur a ordonné de vous enseigner (…) Tu les écouteras, et tu auras soin de les mettre en pratique (…) Tu craindras le Seigneur ton Dieu, tu le serviras. (Dt6, 1-13)
Ne pas craindre Dieu, c’est comme « oublier sa présence » :
Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et n’avait de considération pour personne. (Lc18, 2)
La crainte met la source de l’obligation de la conscience en Dieu lui-même et provoque un vrai repentir :
Tu n’as même pas crainte de Dieu alors que tu subis la même peine ! pour nous, c’est justice nous payons nos actes, mais lui n’a rien fait de mal. (Lc24, 40)
La crainte appartient donc aux deux Alliances :
Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. (Lc1, 50)

La crainte sanctifie et sauve les fidèles :
En possession de telles promesses, biens aimés, purifions-nous de toute souillure de la chair et de l’esprit, achevant de nous sanctifier dans la crainte de Dieu. (2Cor7, 1)
Les nations s’étaient mises en fureur ; mais voici ta fureur à toi, et le temps pour les morts d’être jugés ; le temps de récompenser tes serviteurs les prophètes, les saints, et ceux qui craignent ton Nom… (Ap11, 18)

La crainte est le chemin de la sagesse et du bonheur :
Heureux l’homme qui craint le Seigneur, qui se plait dans la loi du Seigneur. (Ps111, 1)
La crainte du Seigneur est gloire et fierté, gaité et couronne d’allégresse (…), le principe de la sagesse, c’est de craindre le Seigneur, elle enivre de ses fruits. (Si1, 11-20)
Quelle est grande, Seigneur, votre tendresse que vous réservez pour ceux qui vous craignent ! ((Ps30, 20)

Quelques citations
Dom Delatte : « qui a des oreilles pour entendre… ? L’invitation (…) s’adresse à notre intelligence, (…) ce que l’Esprit dit à l’âme qu’il visite, c’est de venir simplement se mettre à son école : il est Docteur et il est Père. Il nous enseignera à craindre Dieu, c’est-à-dire à vivre devant Dieu dans le respect filial et la tendresse. » (Commentaire de la Règle).
La tradition monastique est dans la ligne des premiers pères : « Là où est Dieu, là se trouve la crainte de Dieu, et là où est la crainte de Dieu se trouve le sérieux de la vie, le zèle scrupuleux, la communion délibérée (…), l’Eglise unie, et tout y est de Dieu. » (Tertullien, De Praescribtione, 43)
Claire Patier : « La « frayeur » devant les manifestations sensibles de la grandeur divine est bien distincte de la peur. C’est un saisissement sacré qui met « au pied du mur » : va-t-il provoquer la fuite ? ou cette connaissance que Dieu donne de lui-même va-t-elle changer la manière d’agir ? »

Cette sentence des instruments des bonnes œuvres de la règle de Saint Benoit semble ressembler à un axiome populaire du style : « Réfléchir avant d’agir ». En effet posséder « la science de ce qu’il faut faire ou ne pas faire » est un désir universel. La tradition chrétienne à la suite de Saint Paul accorde une grande importance à la formation de la conscience et au jugement qui va aboutir à l’acte.

L’Apôtre définit les trois morales : païenne, juive et chrétienne, par la manière de le poser ou de l’éluder. Si les païens ont abouti à toutes les dépravations, c’est qu’ils n’ont pas veillé à mettre Dieu dans leurs pensées (Rm1, 28). Les juifs sont informés des volontés divines par la loi qui détaille tout ce qu’il faut faire (Rm2, 12).

Le chrétien, avant de devenir une « homme nouveau »grâce à l’Eglise qui va lui dispenser la parole du Christ et les sacrements, et pouvoir discerner et adhérer spontanément et par amour au bon vouloir de Dieu, va d’abord expérimenter la faiblesse de sa chair (Rm7) et reconnaitre que « tout est grâce » (Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus). Cependant cette foi doit s’accompagnée des œuvres : « Dieu qui t’a créé sans toi ne te sauvera pas sans toi » (St Augustin). Rameau de vigne greffé sur le Christ, le chrétien ne doit pas être stérile dans ses actions: « c’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruits ».

Pour comprendre Saint Benoit, il faut rechercher dans l’Ecriture les différents sens de « veiller » puis voir dans la règle comment le moine informe toutes ses actions par cette veille.

Veiller, c’est guetter, attendre, scruter, et implique un désir ardent et une certaine crainte amoureuse de manquer un rendez-vous : ce sens va s’adresser surtout à Dieu. Veiller, c’est aussi garder, prendre soin, ce sens va s’adresser aux autre : « qu’as-tu fait » de ton frère ? (Gen4, 10)

Résonance dans la bible
L’Ancien testament :

Les veilleurs sont évoqués dans l’histoire du peuple, ils sont soldats ou bergers. A son sens usuels, les priants lui ont donné un sens spirituel :
Ps62 : O Dieu, mon Dieu, je veille devant vous dès l’aurore (…) le matin je pense à vous car vous avez été mon soutien.
Ici, plutôt que de veiller la nuit, comme on l’attendrait, le psalmiste commence à veiller quand le jour se lève. Il entre dans une autre veille, celle de l’attention à Dieu : « je me présente à vous pour contempler votre puissance et votre gloire. »(Ps62)

Les grandes figures bibliques vont inaugurer une relation de Foi et d’amour avec Dieu.
Les prophètes :

Ez33, 7 : « Toi, je te fais guetteur pour la maison d’Israël, quand tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part »

Les prophètes sont des veilleurs, ils sont chargés par Dieu de rappeler l’Alliance au peuple.
Dt4, 9 : Prends garde ! Garde bien ta vie, ne va pas oublier les choses que tes yeux ont vues, ni les laissez, en aucun jour les sortir de ton cœur (…) Prenez bien garde à vous-même.
Veiller sur la mémoire des bienfaits de Dieu et de sa loi, dont l’observation est le gage des promesses futures vont aider le peuple à rester dans la voie de la justice.

Si7, 36 : Dans toutes tes actions souviens-toi de ta fin et tu ne pêcheras jamais.

Ps127 : Heureux ceux qui craignent le Seigneur et marchent dans ses voies !

Les pauvres attendent le secours de Dieu et son pardon
Lam3, 24-28 : Le Seigneur est bon pour l’âme qui espère en lui. Il est bon d’attendre en silence le salut de Dieu. L’homme s’assiéra dans le silence en portant son joug, il se prosternera à terre, espérant malgré tout.

Ps4, 2, 4 : Seigneur, ayez pitié de moi, exaucez ma prière (…) oui, le Seigneur m’entend quand je cris vers lui.

Ps90 : A celui qui appelle je répondrai (…) je lui ferai voir mon salut.
Veiller, c’est donc aussi apprendre à attendre avec confiance la réalisation des promesses et la venue du messie. Le dernier veilleur de l’Ancien Testament est Siméon, « un homme juste et pieux qui attend la consolation d’Israël » (Lc1, 25-27). A la charnière entre les deux testaments, Siméon voit de ses yeux l’accomplissement des promesses divines que les prophètes avaient annoncées.

Le Nouveau testament :

Veiller et attendre

Lc12, 31 : Heureux le serviteur que le Maître à son arrivée trouvera veillant ! Soyez prêt car vous ne savez pas à quelle heure le Fils de l’homme va venir.

Ici, la béatitude est promise par le Christ aux vigilants , c’est-à-dire à celui qui par les yeux de la Foi et de l’Espérance attendent le retour de Jésus.

Mc 13, 37 : Ce que je dis à vous, je le dis à tous, veillez !

Le Christ nous prévient avec insistance. Il ne veut pas que nous nous laissions surprendre par sa venue. Ces avertissements doivent établir ses disciples dans une certaine « crainte religieuse ». En effet : « le juge se tient aux portes ! » (Jc 4, 5). Attendre l’achèvement du salut aura pour conséquence de régler les moindre faits et gestes à cette fin.

Veiller et tenir :
Les âmes trop rivées à terre n’ont ni le gout de la gloire céleste, ni le sens de l’inachèvement de leur condition terrestre. Les plaisirs sensibles et sensuels risquent de les rendre allergiques aux séductions célestes :

Lc21, 3 : tenez-vous sur vos gardes, de peur que vos cœurs ne s’appesantissent pas dans la débauche, l’ivrognerie, les soucis de la vie.

Pour rester ferme sans fléchir sous la pression de l’adversité, le chrétien prend la vertu du vigilant, sur de la venue et de la présence qu’il espère. Cela suppose de se garder en état d’alerte : « ne vous endormez pas comme font les autres, mais restons éveillé et sobres » (1 Tess : 5, 5)

Veiller et regarder avec les yeux de la Foi :

Jésus viendra à la fin des temps, il viendra nous chercher le jour de notre mort, mais il est là « avec nous tous les jours » (Mt 28, 20) dans les sacrements, spécialement l’Eucharistie. De plus il faut aussi veiller à chaque instant car il vient nous solliciter à travers les événements et par notre prochain : « Voici que je me tiens à la porte et que je frappe !» (Ap 3, 20). L’attente et l’attention à la présence de Dieu va nous pousser à lui plaire en tout par amour.

Veiller et prier :
Etre attentif à garder son regard fixé sur les réalités surnaturelles, prendre ses dispositions pour les recevoir va demander une vie de prière intense : « vivez dans la prière et la supplication, priez en tout temps dans l’Esprit, apportez-y une vigilance inlassable » (Eph 6, 18). « Veillez et priez en tout temps afin d’avoir la force d’échapper à tout ce qui doit arriver et vous tenir debout devant le Fils de l’Homme ! »(Lc 21, 36).

Au moment de l’agonie, avant sa passion le Seigneur donne l’ordre de : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation, l’esprit est ardent mais la chair est faible » (Mt 26, 41). C’est l’heure du grand combat contre les forces du mal qui veulent détourner Jésus de la volonté du Père. Jésus triomphe en s’abandonnant librement à cette volonté. Jésus prévient ses disciples avec force, le combat spirituel demande une très grande vigilance.
Une oreille néotestamentaire rapproche automatiquement « veille » de l’attente eschatologique, prière et combat. Le vigilant entre dans une confiance inébranlable dans le secours de Dieu.
Ici Saint Benoit rapproche quant à lui veille et action. L’attitude de veille néotestamentaire va rejaillir sur toute la vie.

Ce que dit la Règle

Cette sentence vient du chapitre 4, rapprochons-la des deux sentences entre laquelle elle est insérée :
« Avoir tous les jours la mort devant les yeux » (n°47) : c’est l’attente du Seigneur, sa venue ultime au moment de notre mort. Et « tenir pour certain que Dieu nous observe à toute heure » (n°49): c’est avoir une conscience aigüe de sa venue à tout moment. « Veiller à tout heure sur les actions de sa vie » (n°48) peut être entendu comme la conséquence de cette double attente. Le moine va s’exercer ainsi à « la crainte de Dieu » qui a une grande importance dans la tradition monastique. Elle signifie d’abord d’entrer dans une conscience de cette présence et doit mener à l’amour.

Le lieu privilégié de cette attitude est l’oratoire du monastère, il faut s’y tenir « en présence de Dieu et de ses anges » (chap29), Saint Benoit exhorte à y prier avec « pureté de cœur et des larmes de componction », l’office divin doit être récité avec une « frayeur divine » (chap50).

Dès le prologue le moine est décrit comme un veilleur : tout son être est tendu dans cet état : il « écoute ce que dit l’Esprit », il est poussé sans cesse à « sortir du sommeil » il garde « les yeux ouvert à la lumière déifique », il craint que « les ténèbres ne le rattrapent ». Cet état de veille le pousse à bien agir : « Marchons dans ses sentiers, afin que nous méritions de voir dans son Royaume celui qui nous a appelé. », « il nous faut courir et agir d’une façon qui nous profite pour l’éternité »

Le thème de la vigilance active se retrouve au chapitre 7 : De l’humilité : « croyons que Dieu nous observe sans cesse (…), veillons à toute heure, de peur que Dieu ne nous surprenne à quelques moments où nous nous abandonnons au mal et nous nous rendons inutiles. »

Si tous les moines sont des veilleurs, l’Abbé et ceux avec qui il partage son fardeau vont être spécialement vigilants :

Saint Benoit demande à l’Abbé (RB2)de se souvenir sans cesse du « redoutable jugement de Dieu », « il devra rendre compte à Dieu de toutes les âmes qui lui sont confiées » et vivra « dans l’appréhension continuelle » de cet examen. L’abbé est chargé de conserver « en tous ses points la règle »(RB 34) et de veiller sur son observance, toujours tempérée par la « discrétion afin que les faibles ne se découragent pas »
Il veille « avec le plus grand soin » sur les frères malades, « afin qu’ils n’aient à souffrir d’aucunes négligences » (RB 36)
Il veille aussi sur « la mesure des habits » ainsi que leur adaptation au climat. (RB 55)
Il veille sur la « mesure du manger », « au cas où il serait expédient d’ajouter quelque chose ». (RB 39).
Il veille en tout pour que « ne rien établir de rigoureux ou de trop pénible » (prologue), et que « personne ne soit troublé ni contristé dans la maison de Dieu » (RB 31).

Le cellérier du monastère devra rendre compte à Dieu du soin apporté aux « enfants, aux hôtes et aux pauvres », au jour du jugement « il rendra des comptes pour eux tous ». Il veillera aussi « à la garde de son âme » à cause du rang que lui donne sa bonne administration. (RB 31)
-Le moine chargé de former les nouveaux venus « s’inquiétera avec sollicitude » de leur zèle concernant l’office divin, l’obéissance, et les humiliations. (RB 58)
-Le portier est aussi un veilleur, il sera « toujours présent pour rendre réponse » « dans toute la mansuétude que donne la crainte de Dieu ». (RB 46).

Après ce petit tour non exhaustif dans l’Ecriture et dans la Règle on peut discerner les résonances de cette sentence.

Veiller, c’est attendre l’aide du Seigneur, scruter les réalités surnaturelles, accepter le combat spirituel… Une attitude d’âme qui nous garde dans la prière et nous aide à poser les actions du quotidien selon la volonté de Dieu.

Dans toute la règle, le moine est décrit comme un vigilant actif, quel que soit son rôle dans le monastère, il devra sans cesse supplier le Seigneur car c’est Lui qui « mène tout à bonne fin », « en sorte que celui qui a daigné nous compter parmi ses fils n’ai pas à s’attrister de nos mauvaises actions », il doit veiller à rester « dans la lumière de vie de peur que les ténèbres ne le saisissent ».La conséquence de cette attention à Dieu, à ses frères et à tous les biens du monastère, est qu’’il « avancera dans la bonne vie et dans la foi » et se mettra « à courir dans les préceptes de Dieu avec une véritable douceur d’amour ». (Prologue)

Chez les Pères

Saint Basile (Homélie : Attende tibi ipsi) : Ne cesse pas de t’examiner toi-même si tu veux vivre selon le commandement. Ne reste pas là à regarder hors de toi si tu réussi à trouver quelque chose à reprocher aux autres, comme le faisait le pharisien présomptueux et plein de gloire, qui s’élevait lui-même en se justifiant et qui méprisait le publicain ; ne cesse pas de t’examiner toi-même en te demandant si tu as péché en pensée, ou si ta langue plus rapide que ta pensée n’a pas dit quelque chose de trop, si par les œuvres de tes mains, tu n’as pas fait quelque chose qui dépassait tes intentions. Et si tu trouves dans ta vie un grand nombre de péché, tu es homme et tu en trouvera certainement, redis les paroles du publicain : « Ô Dieu, prends pitié de moi pécheur »

Cet extrait vient du chapitre de la Règle qui parle spécifiquement de la prière : le XXème. Saint Benoit commence par une comparaison : si tu dois demander quelque chose à un homme puissant, ne vas-tu pas l’aborder avec humilité et respect ?… Combien plus pour le Maitre de l’univers…

Saint Benoit va donner les dispositions de la prière et non décrire la prière elle-même, il va mettre le moine dans les meilleures conditions pour prier. Les termes « supplier », « respect », « application du cœur », « avec larmes » sont utilisés pour aider le moine à avoir une attitude juste devant Dieu.

En outre, la récitation des psaumes au cours de l’office, la lecture et l’étude de la Bible vont apprendre au moine à s’adresser à Dieu.

 Pourquoi et comment demander ou supplier Dieu ?… Petit parcours biblique sur la prière de supplication :

Quelques citations et exemples bibliques :

La Vierge Marie est le premier modèle d’humilité, elle proclame que Dieu est attentif à ceux qui sont humbles et pauvres, et qui ressentent le besoin de Dieu :

Lc 1, 48 ; 53 : Il a jeté les yeux sur l’abaissement de sa servante. (…) Il comble de biens les affamés…

L’humilité est inséparable de la Foi :

Is59, 1 : La main du Seigneur n’est pas trop courte pour sauver !

1Tess5, 24 : il est fidèle Celui qui vous appelle.

La Foi ne supporte pas l’indécision :

Jc 1, 5 : Si quelqu’un manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu, et elle lui sera donné. Mais qu’il demande avec foi, sans hésitation, car l’homme à l’âme partagé ne peut rien recevoir du Seigneur.

La confiance doit donc être totale :

Phil 4, 6 : N’entretenez aucun souci mais qu’en tout, par la prière et la supplication avec action de grâce, vos requêtes soient représentées à Dieu.

 Cela n’empêche pas la prière d’être hardie et combattante : la veuve de Lc 18, 2 qui s’obstine audacieusement à demander justice est le type de la vraie prière, directe, spontanée qui ne s’arrête pas tant qu’elle n’est pas exaucée.

 L’Ancien Testament autorise déjà ces importunités :

Is 62, 7 : Vous qui vous rappelez au souvenir du Seigneur, (…) Ne lui laissez pas de repos…

Ps 44, 24 : Réveille-toi ! Pourquoi dors-tu Seigneur ?

La prière peut en quelque sorte faire violence à Dieu, on peut même parler de lutte :

Sag 18, 21 : (Aaron) prit les armes de son ministère, prière et encens expiatoire, et engagea le combat contre le courroux divin et mis un terme au fléau.

 Rom 15, 30 : luttez avec moi dans la prière afin que j’échappe aux incrédules de Judée.

La prière accompagne le combat spirituel de toute l’Eglise :

Eph6, 18 : Vivez dans la prière et la supplication, apportez-y une vigilance inlassable, priez en tout temps dans l’Esprit et intercédez pour tous les saints.

 Jésus nous a montré comment lutter et supplier au cour de son agonie :

Heb 5, 7 : au jours de sa chair, il a présenté avec une violente clameur et des larmes, des implorations et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort, et ayant été exaucé en raison de sa piété…

Ainsi tous les chrétiens, à l’exemple de leur Chef, combattent par leur imploration pour surmonter les obstacles que dresse parfois la puissance diabolique sur leur chemin vers Dieu. Ils demandent que la volonté de Dieu se fasse en eux. Il va de soi que de telles prières demandent un surcroit de force que donne le Pneuma divin.

Rom 8, 26 : l’Esprit vient au secours de notre faiblesse car nous ne savons pas prier comme il faut l’Esprit lui-même intercède par des gémissements ineffables.

Apprendre à prier avec la Bible : citation du Père Hamann (La Prière) :

            Le croyant comme le peuple de Dieu, doit suivre le cheminement des longues préparations, avec l’inapaisement de l’inachevé, l’espérance des réalisations définitives. La prière suppose l’enracinement biblique, qui permet un enrichissement progressif : elle ressemble à une symphonie qui, à partir d’un thème, se charge toujours d’harmoniques nouvelles (…)  

Dans la louange comme dans la demande, les dons matériels et temporels prédominent ; la santé et la vie jouent un rôle important dans les Psaumes (Ps. 49 ; 25). La pensée juive ne connait pas la dichotomie grecque. L’homme est corps et âme, ou plus justement âme incarnée ; biens corporels et spirituels sont intimement liés, d’autant plus que l’absence d’une théologie de l’au-delà resserre le drame dans le cadre de la vie terrestre. Même chez Jérémie, les dons matériels sont sacrement de la munificence divine.

            Après l’exil les biens spirituels prennent le pas sur la richesse terrestre. La sagesse est d’une autre valeur. Les prophètes ont appris à demander « la connaissance de Yahvé », qui désormais apparait comme le don suprême du Seigneur. Sous l’action de la patiente éducation de Dieu, l’Israélite découvre le sens de la gratuité ; les biens s’effacent devant le souverain Bien. En dépassant la caducité » de la richesse, le Juif finit par demander la joie de Dieu et la communion de vie avec Lui.

Dans la Règle de Saint Benoît
– Chap 5 (« De l’obéissance ») : « C’est de bon cœur que les disciples doivent obéir parce que « Dieu aime celui qui donne joyeusement. » (2 Co 9,7). Si, au contraire, le disciple obéit, mais qu’il le fait de mauvais gré, s’il murmure non seulement de bouche mais encore dans son cœur, même s’il exécute l’ordre reçu, cet acte ne sera pas agréé de Dieu, qui voit le murmure dans sa conscience. » – Chap 34 (« Si tous doivent recevoir également le nécessaire ») : « Avant tout, que jamais n’apparaisse le vice du murmure, pour quelque raison que ce soit, ni en paroles, ni en un signe quelconque. » – Chap 41 (« A quelle heure les frères doivent prendre leur repas ») : « A l’Abbé de régler toutes choses et de les disposer de telle sorte que les âmes se sauvent et que les frères accomplissent leur tâche sans motif légitime de murmure. »
Dans la Bible
– Exode 16,2-3 : « Toute la communauté des Israélites se mit à murmurer contre Moïse et Aaron dans le désert. Les Israélites leur dirent : “Que ne sommes-nous morts de la main du SEIGNEUR au pays d’Egypte, quand nous étions assis auprès de la marmite de viande et mangions du pain à satiété ! A coup sûr, vous nous avez amenés dans ce désert pour faire mourir de faim toute cette multitude.” » – Luc 5,30-32 : «Les Pharisiens et leurs scribes murmuraient et disaient à ses disciples : “Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ?” Et, prenant la parole, Jésus leur dit : “Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades ; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, au repentir.” » – Romains 12,9-10 : « Que votre amour soit sans hypocrisie. Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien. Soyez unis les uns aux autres par l’affection fraternelle, rivalisez de respect les uns pour les autres. »
Avec Saint François de Sales
(dans ses Entretiens avec les sœurs de la Visitation) – Français modernisé – « On dit de soi : je suis plus intelligent que les autres, j’ai plus d’expérience, et autant de belles raisons qui ne servent qu’à créer des inquiétudes, des humeurs bizarres, des murmures. – Pour quelle raison donne-t-on cette responsabilité à une telle ? pourquoi a-t-on dit cela ? Dans quel but fait-on faire telle chose à celle-ci plutôt qu’à l’autre ? Grande pitié ! Dès qu’on s’est laissé aller une fois à éplucher tout ce que l’on voit faire, nous faisons exactement ce qu’il faut pour perdre la tranquillité de nos cœurs ! » « Une bonne estime du prochain (…) ne peut ni se concevoir ni se conserver que par l’attention constante à remarquer ses vertus et à ignorer ses imperfections (…). Il faut interpréter toujours à son avantage ce qu’on peut le voir faire. »
Avec Sainte Teresa de Calcutta
(Extraits de Quand l’amour est là, Dieu est là ) « Jésus a dit très clairement : « Ne jugez pas. Si vous ne jugez pas, vous ne serez pas jugés. » (Mt 7,1 ; Lc 6,37). Mais lorsqu’une sœur fait quelque chose de mal, vous ne pouvez pas dire que c’est bien. L’acte est mauvais, mais pourquoi elle agit ainsi, vous ne le savez pas, (…) son intention, vous ne la connaissez pas. » « Peut-être que nous ne nous battons pas avec des pistolets et des couteaux, mais avec nos critiques et notre jugement hâtif. (…) Ayez cette attitude : ne pas émettre de jugements, ni en paroles, ni même dans [votre] esprit. » « Vous voulez savoir si votre cœur va bien, voyez vos paroles. » « La critique (…) est aussi particulièrement contagieuse. Si une sœur se met à critiquer, en peu de temps nous en aurons deux, quatre, huit, dix qui prendront sa suite. » « Nous perdons tellement lorsque nous récriminons ! Quelle perte d’énergie ! Comme nous sommes bêtes. Nous devons faire attention car nous avons tous cette tendance ; ne laissons pas nos goûts et nos dégoûts être la mesure de nos actions. » « Une sœur qui récrimine ne peut pas prier. Et on peut voir sur son visage que quelque chose la soucie. » « Abstenez-vous de tout préjugé, c’est-à-dire d’avoir une idée arrêtée contre quelqu’un. » « Nous devons être capables de vivre dans la paix, la joie et l’unité. Comment ? Ayez du respect les unes pour les autres. (…) N’essayez pas de voir ce qui est mauvais. Découvrez ce qui est bien en chacune. »

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l'Abbaye Notre-Dame de Miséricorde à Rosans